mardi 29 décembre 2015

La nausée festive



"Je suis en retard. Le salon et la salle à manger sont déjà bondés de gens à qui je n'ai pas vraiment envie de parler. Deux grands sapins bleus ornés de guirlandes clignotantes blanches sont disposés de part et d'autre de la cheminée. Le lecteur de compacts diffuse de vieilles chansons de Noël, enregistrées par les Ronettes dans les années soixante. Un extra en smoking verse le champagne et le lait de poule, confectionne Manhattans et Martinis, ouvre les bouteilles de pinot noir Calera Jensen et de chardonnay Chappellet. Une rangée de bouteilles de porto vingt ans d'âge soutient le bar de fortune entre deux vases de poinsettias. On a recouvert une longue table pliante d'une nappe rouge, elle-même recouverte de plats et d'assiettes et de raviers remplis de noisettes grillées et de homard et de bisque aux huîtres et de soupe de céleri aux pommes et de caviar Beluga et de toasts et de crème d'oignon et d'oie rôtie farcie aux marrons et de bouchées à la reine au caviar et de tartes aux légumes à la tapenade, de canard rôti et de poitrine de veau rôtie aux échalotes et de gratin aux gnocchi et de strudel aux légumes et de salade Waldorf et de coquilles Saint-Jacques et de bruschetta au mascarpone et de truffes blanches et de soufflé au piment vert et de perdreau rôti à la sauge avec des pommes de terre et des oignons et du coulis d'airelles, de pudding à la compote et de truffes au chocolat et de tarte soufflée au citron et de tarte Tatin aux noix de pécan. Partout, des bougies allumées dans des chandeliers Tiffany en argent massif. Et - bien que je ne puisse affirmer qu'il ne s'agit pas là d'une hallucination -, il me semble bien apercevoir des nains vêtus de costumes de lutins, verts et rouges avec bonnet de feutre pointu, se promener avec des plateaux d'amuse-gueule. Préférant ne rien voir, je me dirige droit vers le bar où je descends d'un trait un verre de champagne potable, puis vers Donald Peterson à qui l'on a accroché des bois de cerf en papier sur la tête, comme à la plupart des hommes présents. De l'autre côté de la pièce, j'aperçois la fille de Maria et David Hutton, Cassandra, cinq ans, vêtue d'une robe de velours et d'un jupon Nancy Hasler, sept cents dollars. Après avoir bu mon deuxième verre de champagne, je passe au double Absolut, et, suffisamment calmé, examine la pièce avec plus d'attention. Les nains sont toujours là."

Bret Easton Ellis, American Psycho

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les commentaires seront régulés selon l'humeur de l'auteur.