samedi 31 décembre 2016

Flûte

A travers les fenêtres, on ne distinguait que les halos orangés des lampadaires à sodium qui jalonnaient le chemin longeant le jardin. La brume enveloppait le dernier soir de décembre. Pour une fois, il avait choisi de mettre un peu de musique dans la bibliothèque. Se laissant guider par l’étrangeté de « No quarter » et la tristesse de la météo, il attrapa son Lautréamont avant de s’asseoir dans le vieux fauteuil déchiré. Il songea un instant à tous ces gens qui célébraient encore une fois le rituel du passage vers une nouvelle année. La date changeait, la belle affaire ? Leurs petits fours ne pouvaient dissimuler l’arrière-goût amer de la vie. Et pour lui en tout cas, c’était bien cette amertume qui faisait le prix de l’existence. En pensant à toutes ces conneries, alors que ses yeux glissaient sur l’avertissement adressé par le poète au lecteur, une envie de Champagne le saisit soudain. Flûte.


samedi 10 décembre 2016

A certaines heures pâles de la nuit


« Les gens, il conviendrait de ne les connaître que disponibles
A certaines heures pâles de la nuit
Près d'une machine à sous, avec des problèmes d'hommes, simplement
Des problèmes de mélancolie
Alors, on boit un verre, en regardant loin derrière la glace du comptoir

Et l'on se dit qu'il est bien tard... »


Léo Ferré, Richard

mercredi 30 novembre 2016

Une conférence de rédaction chez "Valeurs Actuelles"


Début à 8 heures. On prend un petit café avec des sucrettes de met’ et une assiette de space cake. Pour trouver la hargne, on écoute les éditos de ces bolchos de France Inter. C’est sûr, Patrick Cohen, Dominique Seux, Bernard Guetta sont communistes. Même le type qui récite la liturgie du CAC en direct du temple, c’est un coco ! Des putains de rouges, le couteau entre les dents.
10 heures. Entre deux shoots d’héro, on se remémore les dernières paroles de Pierre Gattaz en Chine, affirmant que la France était un pays communiste. Quelqu’un demande aux journalistes présents s’ils ont déjà lu une ligne de Marx. Silence, suivi d’un fou rire généralisé. Dans le fond de la salle, y’en a un qui vomit.
Midi. On se fait une omelette aux psilos devant Rambo III. Ça commence bien, Rambo compte sauver la planète de la menace soviétique. Mais un certain malaise gagne la rédaction lorsque le film rappelle que dans les années 80, le « monde libre » était très copain avec les djihadistes quand il fallait taper les Russes.
14 heures. La copie est pissée, on a gerbé une couv’ d’enfer, bien envoyée à ces fumiers de cocos qui contrôlent les médias français : Niel, Drahi, Lagardère, Dassault… On se congratule avant de se faire un dernier rail de coke. C’est beau le journalisme. Vivement la semaine prochaine.

mardi 15 novembre 2016

Primaires candidats



Ce mardi matin, alors que j’ai préféré m’isoler des médias pendant plusieurs jours de peur de subir une énième interprétation délirante du réel façon Bernard Guetta et consorts, j’allume par ennui mon autoradio au feu rouge. Je peste immédiatement en tombant sur une publicité, incident de plus en plus fréquent mais toujours aussi navrant sur France Inter, station du service public. Je patiente néanmoins, afin de connaître l’identité de l’invité. Il s’agit de Bruno Le Maire, normalien, ancien ministre, et candidat aux primaires de la droite et du centre. Le gars est assez jeune, et comme Emmanuel Macron, nous fait le coup du renouveau dans le style de Giscard il y a quarante ans. Lui aussi promet le changement, vieille habitude – le changement est la promesse qui ne change jamais dans les discours électoraux. Vu que je n’ai que ça à faire, je décide d’écouter en quoi son propos peut être original. Nous en sommes à l’heure des appels d’auditeurs. Le premier se présente comme agriculteur, mais pose une question qui n’a rien à voir avec sa profession. Cela n’empêche pas Bruno Le Maire de débuter sa réponse ainsi : « je profite de cette occasion pour saluer à travers vous tous mes amis agriculteurs ». S’ensuit un blabla fiscal sans intérêt sur la TVA, les impôts et toutes sortes de choses que les gens s’imaginent décisives pour orienter leur vote et faire une différence entre ce qui est "de droite" et ce qui est "de gauche", alors que les propositions de toute la classe politique sur ces sujets, comme d’ailleurs sur le reste (hormis quelques polémiques sociétales de diversion), ne sont que des aménagements mineurs et consensuels dans la matrice définie par le capitalisme. Bref, on passe à l’auditeur suivant. La question et la réaction seront là encore sans aucune valeur, mais le type téléphone depuis l’île de la Réunion et je me demande si ce nouveau détail, manière d’attribuer au moins quelques miettes à l’électeur dans cette grande mascarade de personnalisation qu’est la démocratie représentative, sera relevé par le politicien. Bingo : « J’en profite, David, pour saluer tous mes amis de la Réunion ». Je lâche une seconde le volant pour applaudir. Le troisième intervenant trié par le standard s’adresse à l’invité en l’appelant "Monsieur le Ministre", selon cette convention qui veut qu’une personne ayant été ministre soit nommée ainsi pour le restant de ses jours. Aussitôt, le candidat du renouveau lui coupe la parole : « oh vous savez, je préfèrerais largement Bruno. Appelez-moi Bruno ».
Une journée de consultations m’attend, et j’ai déjà mon compte d’histrionisme. J’éteins la radio : à choisir, mieux vaut l’ennui que la bile.

dimanche 13 novembre 2016

Réouverture du Batatatatataclan

A la dernière minute, Sting ne put se rendre sur scène pour son concert-hommage, à cause d'une vilaine gastro-entérite. Sid Vicious fut choisi pour le remplacer au pied levé. Mauvaise idée...


vendredi 11 novembre 2016

Comme une blessure étrange

C’est ma femme qui m’a appris ce matin, avec douceur, ta mort. J’ai pleuré. Je savais pourtant que ce moment allait arriver, comme on se prépare au départ d’un proche. Il faut dire que je n’avais que dix ans lorsque je t’ai rencontré... Comme une blessure étrange, "Suzanne" devait me hanter à jamais. C’est la seule chanson que je sais interpréter une guitare à la main, ce que j’ai fait des centaines de fois, mes malheureux amis du lycée peuvent en témoigner. Tout le reste, les agitations hystériques de l’actualité n’ont aucune importance à côté de cette nouvelle : tu n’es plus là. Mais ce n’est pas une disparition. Un poète ne disparaît pas.



mardi 25 octobre 2016

Boulangerie Bygmalion


« Le ridicule déshonore plus que le déshonneur. »

François de La Rochefoucauld

samedi 22 octobre 2016

Exercice d'exécration


« Ma curiosité et ma répulsion, ma terreur aussi devant son regard d’huile et de métal, devant son obséquiosité, sa ruse sans vernis, son hypocrisie étrangement non voilée, ses continuelles et évidentes dissimulations, devant ce mélange de canaille et de fou. Imposture et infamie en pleine lumière. Son insincérité est perceptible dans tous ses gestes, dans toutes ses paroles. Le mot n’est pas exact, car être insincère c’est cacher la vérité, c’est la connaître, mais en lui nulle trace, nulle idée, nul soupçon de vérité, ni de mensonge d’ailleurs, rien, sinon une âpreté immonde, une démence intéressée... »

Cioran, De l’inconvénient d’être né



dimanche 18 septembre 2016

Mon cabinet de médecine générale plutôt que leurs salons



« Je n’ai jamais apprécié les gens en fonction de ce qu’ils font, mais toujours en fonction de ce qu’ils sont. C’est pour ça que quand on me dit de quelqu'un "c’est un raté, il n’a rien fait", ça n’a aucune espèce d’importance. Je ne trouve pas qu’il faille se réaliser. Mais il faut quand même être quelqu’un. En ce sens, j’ai connu des gens extraordinaires dans ma vie, dont on ne parlera jamais dans la littérature mais ça n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est ce qu’un être est. J’irai même plus loin : je crois que sur le plan métaphysique, une conversation avec quelqu’un qui a des angoisses personnelles – disons une concierge inquiète… Elle est plus intéressante qu’un philosophe satisfait de lui-même, infatué. »

Cioran, entretien avec Christian Bussy


Et pour ceux qui ont 27 minutes 49 secondes à perdre correctement en attendant la mort, je partage ici l'intégralité de l'entretien :
 

dimanche 4 septembre 2016

jeudi 14 juillet 2016

Non, merci !


Comme chaque année, à l’issue d’un blabla sidéralement vide devant des pantins se satisfaisant davantage d’avoir été choisis que de choisir leurs questions, le Président de notre République finissante battra la campagne dans les jardins de son palais, où de serviles acteurs de la société du spectacle, comédiens, journalistes, patrons, syndicalistes, se goinfreront de petits fours, avant que certains d’entre eux soient épinglés de la friandise républicaine. Pêle-mêle, seront adoubés cette fois-ci Marion Cotillard, Pierre Richard, Ariane Ascaride, Matthieu Ricard, Nonce Paolini, Alain Duhamel, Jacques Juillard, Nicole Notat, etc. Avant de s’agenouiller dans le caniveau, toute cette basse-cour ferait mieux de lire Cyrano pour saisir la distinction entre l’orgueil et la vanité…

« LE BRET
Si tu laissais un peu ton âme mousquetaire,
La fortune et la gloire...


CYRANO
Et que faudrait-il faire ?
Chercher un protecteur puissant, prendre un patron,
Et comme un lierre obscur qui circonvient un tronc
Et s'en fait un tuteur en lui léchant l'écorce,
Grimper par ruse au lieu de s'élever par force ?
Non, merci ! Dédier, comme tous ils le font,
Des vers aux financiers ? Se changer en bouffon
Dans l'espoir vil de voir, aux lèvres d'un ministre,
Naître un sourire, enfin, qui ne soit pas sinistre ?
Non, merci ! Déjeuner, chaque jour, d'un crapaud ?
Avoir un ventre usé par la marche ? Une peau
Qui plus vite, à l'endroit des genoux, devient sale ?
Exécuter des tours de souplesse dorsale ?...
Non, merci ! D'une main flatter la chèvre au cou
Cependant que, de l'autre, on arrose le chou,
Et donneur de séné par désir de rhubarbe,
Avoir son encensoir, toujours, dans quelque barbe ?
Non, merci ! Se pousser de giron en giron,
Devenir un petit grand homme dans un rond,
Et naviguer, avec des madrigaux pour rames,
Et dans ses voiles des soupirs de vieilles dames ?
Non, merci ! Chez le bon éditeur de Sercy
Faire éditer ses vers en payant ? Non, merci !
S'aller faire nommer pape par les conciles
Que dans des cabarets tiennent des imbéciles ?
Non, merci ! Travailler à se construire un nom
Sur un sonnet, au lieu d'en faire d'autres ? Non,
Merci ! Ne découvrir du talent qu'aux mazettes ?
Être terrorisé par de vagues gazettes,
Et se dire sans cesse : "Oh ! pourvu que je sois
Dans les petits papiers du Mercure François" ?...
Non, merci ! Calculer, avoir peur, être blême,
Préférer faire une visite qu'un poème,
Rédiger des placets, se faire présenter ?
Non, merci ! Non, merci ! Non, merci ! Mais... chanter,
Rêver, rire, passer, être seul, être libre,
Avoir l'œil qui regarde bien, la voix qui vibre,
Mettre, quand il vous plaît, son feutre de travers,
Pour un oui, pour un non, se battre, - ou faire un vers !
Travailler sans souci de gloire ou de fortune,
À tel voyage, auquel on pense, dans la Lune !
N'écrire jamais rien qui de soi ne sortît,
Et modeste d'ailleurs, se dire : mon petit,
Sois satisfait des fleurs, des fruits, même des feuilles,
Si c'est dans ton jardin à toi que tu les cueilles !
Puis, s'il advient d'un peu triompher, par hasard,
Ne pas être obligé d'en rien rendre à César,
Vis-à-vis de soi-même en garder le mérite,
Bref, dédaignant d'être le lierre parasite,
Lors même qu'on n'est pas le chêne ou le tilleul,
Ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! »


Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac

dimanche 29 mai 2016

Bonne fête Maman

« Et la Mère, fermant le livre du devoir,
S'en allait satisfaite et très fière, sans voir,
Dans les yeux bleus et sous le front plein d'éminences,
L'âme de son enfant livrée aux répugnances. 


Tout le jour il suait d'obéissance ; très
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits
Semblaient prouver en lui d'âcres hypocrisies.
Dans l'ombre des couloirs aux tentures moisies,
En passant il tirait la langue, les deux poings
A l'aine, et dans ses yeux fermés voyait des points.
Une porte s'ouvrait sur le soir : à la lampe
On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe,
Sous un golfe de jour pendant du toit. L'été
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté
A se renfermer dans la fraîcheur des latrines :
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines. 


Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet
Derrière la maison, en hiver, s'illunait,
Gisant au pied d'un mur, enterré dans la marne
Et pour des visions écrasant son œil darne,
Il écoutait grouiller les galeux espaliers.
Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers
Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue,
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue
Sous des habits puant la foire et tout vieillots,
Conversaient avec la douceur des idiots !
Et si, l'ayant surpris à des pitiés immondes,
Sa mère s'effrayait ; les tendresses, profondes,
De l'enfant se jetaient sur cet étonnement.
C'était bon. Elle avait le bleu regard, - qui ment !


A sept ans, il faisait des romans, sur la vie
Du grand désert, où luit la Liberté ravie,
Forêts, soleils, rives, savanes ! - Il s'aidait
De journaux illustrés où, rouge, il regardait
Des Espagnoles rire et des Italiennes.
Quand venait, l'œil brun, folle, en robes d'indiennes,
- Huit ans - la fille des ouvriers d'à côté,
La petite brutale, et qu'elle avait sauté,
Dans un coin, sur son dos en secouant ses tresses,
Et qu'il était sous elle, il lui mordait les fesses,
Car elle ne portait jamais de pantalons ;
- Et, par elle meurtri des poings et des talons,
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre. 


Il craignait les blafards dimanches de décembre,
Où, pommadé, sur un guéridon d'acajou,
Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ;
Des rêves l'oppressaient chaque nuit dans l'alcôve.
Il n'aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg
Où les crieurs, en trois roulements de tambour,
Font autour des édits rire et gronder les foules.
- Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles
Lumineuses, parfums sains, pubescences d'or,
Font leur remuement calme et prennent leur essor ! 


Et comme il savourait surtout les sombres choses,
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes,
Haute et bleue, âcrement prise d'humidité,
Il lisait son roman sans cesse médité,
Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées,
De fleurs de chair aux bois sidérals déployées,
Vertige, écroulements, déroutes et pitié !
- Tandis que se faisait la rumeur du quartier,
En bas, - seul, et couché sur des pièces de toile
Écrue, et pressentant violemment la voile ! »


Arthur Rimbaud, Les poètes de sept ans


samedi 14 mai 2016

Entomologie pyrrhonienne


S’il est donné à chacun d’être consterné par les représentations du réel que se font les autres, il semble que peu de personnes prennent le risque d’appliquer cette critique à elles-mêmes. Le prix de l’hypocrisie est intuitivement moins lourd pour la conscience que celui de la lucidité. Car qui veut quitter les charmes narcissiques de la conviction et de l’indignation, pressent bien que ce sera pour sombrer sans recours dans l’intranquillité. A présent il m’arrive d’éprouver comme une douloureuse jubilation l’impression que plus je pense, plus je doute. Alors, je me retourne vers toutes les certitudes, convictions, opinions qui furent les miennes, et je les contemple comme s’il s’agissait de cadavres d’insectes cloués au fond d’une boîte que seul un couvercle de verre préserve de la poussière.

mercredi 20 avril 2016

Je ne m'accorde pas au pluriel

Depuis plusieurs jours est né tout un pataquès de l’altercation entre Alain Finkielkraut et une partie de la foule qui se fait appeler Nuit Debout. Disons-le rapidement, j’ai plutôt de la sympathie pour ceux qui, chez Nuit Debout, on envie d’exprimer l’écœurement provoqué par la soupe que la médiocre classe politique, financière et médiatique nous sert au quotidien. Par ailleurs, je ne partage pas plus les fantasmes négatifs de Finkielkraut sur le prétendu "Grand Remplacement" déploré par son ami Renaud Camus, que ses fantasmes positifs sur un hypothétique âge d’or qui serait révolu. Mais au fond, je ne crains ni n’espère rien d’un réel qui, quand on en méprise les futiles convulsions qui offrent à tant de gens des opportunités de s'agiter qu'ils prennent pour des raisons de vivre, n’a finalement rien de nouveau à présenter aux hommes. Bref. Mon propos n’est pas là. Car contrairement à de nombreux commentateurs de l’événement, je ne m’intéresse pas à l’identité des protagonistes de cet affrontement.  
Tout ce que je constate, c’est qu’une fois encore, une confrontation indigne s’est produite entre une foule et un individu. Or la foule, du plus loin que je me souvienne, m’a toujours effrayé. Je n’aime ni les stades ni les fêtes, je ne raffole pas des concerts, je me sens moutonnier dans toute manifestation, fût-elle motivée par un élan humaniste. La foule ne pense pas. La foule est brutale. Et surtout la foule, par essence, ne supporte pas la contradiction. Elle ne peut l’admettre sans se dissoudre ; c’est la source de tous ses vices. 
La recherche de cohérence, qu’on retrouve davantage chez l’engagé qui désire afficher son opinion plutôt que chez celui qui se donne la peine de penser, se transforme aisément en besoin de cohésion voire de stéréotypie : le renoncement à une représentation alternative du réel ne fait ainsi que s’amplifier. Les semblables s’agglutinent, croyant assouvir un désir de fraternité alors qu’ils ne font que céder à une pulsion totalitaire. Si passe par là un non-semblable, malheur à lui. Qu’il s’agisse d’un philosophe, d’un supporter de foot, d’un dictateur déchu ne change rien au dégoût que m’ont toujours inspiré ces images.

mercredi 2 mars 2016

Tu t'en vas à la dérive


"Sur l’onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles...
- On entend dans les bois lointains des hallalis."

Arthur Rimbaud, Ophélie

samedi 13 février 2016

Cincinnatus referait bien un tour en ville


"Je vous le dis, petits bonshommes, couillons de la vie, battus, rançonnés, transpirants de toujours, je vous préviens, quand les grands de ce monde se mettent à vous aimer, c'est qu'ils vont vous tourner en saucissons de bataille... C'est le signe... Il est infaillible... C'est par l'affection que ça commence."

Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit

mercredi 10 février 2016

Nous et eux



"À mesure qu’on va vers l’Ouest, l’agitation moderne devient de plus en plus grande, si bien qu’aux yeux des Américains les habitants de l’Europe représentent un ensemble d’êtres amis du repos et du plaisir, tandis qu’en réalité ils vont croisant leur vol continuel comme des abeilles et des guêpes. Cette agitation est si grande que la culture supérieure n’a plus le temps de mûrir ses fruits : c’est comme si les saisons se succédaient trop rapidement. Par manque de repos notre civilisation court à une nouvelle barbarie. En aucun temps les gens actifs, c’est-à-dire les gens sans repos, n’ont été plus estimés. Il y a donc lieu de mettre au nombre des corrections nécessaires que l’on doit apporter au caractère de l’humanité, la tâche de fortifier dans une large mesure l’élément contemplatif. Mais dès à présent tout individu calme et constant de cœur et de tête a le droit de croire qu’il possède non seulement un bon tempérament, mais une vertu d’utilité générale et qu’en conservant cette vertu il remplit même un devoir fort élevé."

Friedrich Nietzsche, Humain, trop humain

mercredi 20 janvier 2016

2016, année nécrologique

Après d'autres artistes de talent, voi que disparaît Ettore Scola, réalisateur du mythique "Affreux, sales et méchants", et avec lui encore un peu de l’esprit politique que j’aimais. Celui qui se moquait autant de cette droite qui s’accommode mieux de la charité que de la justice, que de cette gauche qui défend une mythologie absurde du prolétariat. Celui qui préférait affirmer sa singularité en clamant, selon un autre poète du cinéma italien, qu’il est "intolérable d’être toléré", plutôt que de se ridiculiser dans une lutte totalitaire contre des discriminations qui ne sont parfois que des différences, et de flirter avec la censure de ce qui remet en cause sa vision de la liberté. A l’époque, le film fit scandale dans les milieux bien-pensants des deux bords. Aujourd’hui, il ne sortirait probablement pas tant notre esprit critique s’est encore appauvri. Voici l'extrait de la crèche de bidonville, avec la coupole de Saint-Pierre de Rome en arrière-plan. Vive la provocation !


dimanche 3 janvier 2016

Atrophie cortico sous-corticale

Dehors

Dedans


Les journaux ne m’intéressent plus. L’actualité m’apparaît de plus en plus comme un phénomène illusoire, et un propos écrit voici vingt siècles permet souvent de mieux appréhender un événement présent que les bouffonneries de ceux qui se prennent pour les princes de l’information. Le hasard voulut néanmoins que ma femme achetât « l’Obs » de ce début d’année, lequel, trônant sur la table de la cuisine, était ouvert à la page de l’éditorial de Jean Daniel. Le titre accrocha mon regard : « Le grand échec des nihilistes ». Je pestai immédiatement, sachant ce que j’allai trouver comme contenu de cet éditoto. Ce fut encore plus lamentable que prévu. Jean Daniel se félicitait de l’échec, « et quel échec ! » de ceux qui ne veulent que « détruire, détruire, détruire ». La preuve du revers des terroristes, prétendument nihilistes ? La « réalisation spectaculaire » (sic) de la COP 21. Passons sur le ridicule de ce prodige qui aurait tant amusé Philippe Muray, pour revenir sur le contresens régulièrement infligé au nihilisme. S’il ne savait pas déjà combien toute espérance est vaine, le voeu d'un véritable nihiliste serait à l'évidence de « détruire, détruire, détruire » le fanatisme des hommes. Or il le voit à peu près partout, car comme le rappelle Cioran, « dans tout homme sommeille un prophète, et quand il s'éveille il y a un peu plus de mal dans le monde... ». C’est donc faire un mauvais procès aux nihilistes que de qualifier ainsi les terroristes. Ces derniers sont en fait des idéalistes, purs produits d’une époque qui elle non plus, contrairement à ce qu’on entend de la part des mêmes clowns, n’a rien de nihiliste. J’en viens à préciser mon constat de départ : mieux vaut lire un texte âgé de vingt siècles écrit par un penseur alerte, qu’un laïus contemporain pondu par un journaliste sénile.